Page:Dumas - Le Collier de la reine, 1888, tome 1.djvu/39

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et comme tout s’enchaîne dans ce monde, comme ceux-là réussissent le mieux à une chose qui font toujours cette chose, je me suis trouvé naturellement plus habile que tout autre à éviter les dangers d’une existence de trois mille années, et cela parce que j’ai réussi à prendre de tout une telle expérience que je prévois les désavantages, que je sens les dangers d’une position quelconque. Ainsi, vous ne me ferez pas entrer dans une maison qui risque de s’écrouler. Oh ! non, j’ai vu trop de maisons pour ne pas, du premier coup d’œil, distinguer les bonnes des mauvaises. Vous ne me ferez pas chasser avec un maladroit qui manie mal son fusil. Depuis Céphale, qui tua sa femme Procris, jusqu’au Régent, qui creva l’œil de monsieur le Prince, j’ai vu trop de maladroits ; vous ne me ferez pas prendre à la guerre tel ou tel poste que le premier venu acceptera, attendu que j’aurai calculé en un instant toutes les lignes droites et toutes les lignes paraboliques qui aboutissent d’une façon mortelle à ce poste. Vous me direz qu’on ne prévoit pas une balle perdue. — Je vous répondrai qu’un homme ayant évité un million de coups de fusil n’est pas excusable de se laisser tuer par une balle perdue. Ah ! ne faites pas de gestes d’incrédulité, car enfin je suis là comme une preuve vivante. Je ne vous dis pas que je suis immortel ; je vous dis seulement que je sais ce que personne ne sait, c’est-à-dire éviter la mort quand elle vient par accident. Ainsi, par exemple, pour rien au monde je ne resterais un quart d’heure seul ici avec monsieur de Launay, qui pense en ce moment que s’il me tenait dans un de ses cabanons de la Bastille, il expérimenterait mon immortalité à l’aide de la faim. Je ne resterais pas non plus avec monsieur de Condorcet, car il pense en ce moment à jeter dans mon verre le contenu de la bague qu’il porte à l’index de la main gauche, et ce contenu c’est du poison ; le tout sans méchante intention aucune, mais par manière de curiosité scientifique, pour savoir tout simplement si j’en mourrais.

Les deux personnages que venait de nommer le comte de Cagliostro firent un mouvement.

— Avouez-le hardiment, monsieur de Launay, nous ne