Page:Dumas - Le Collier de la reine, 1888, tome 1.djvu/50

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sur ce point n’est-il point celui de monsieur de Cagliostro.

Cagliostro releva la tête, comme fait un coursier sous l’aiguillon.

— Si fait, marquis, dit-il avec un commencement d’irritabililé nerveuse, que dans les temps antiques on eût attribuée à l’influence du dieu qui le tourmentait. Si fait, vous êtes un seigneur puissant dans le royaume de l’intelligence. Voyons, regardez-moi en face ; vous aussi, souhaitez-vous sérieusement que je vous fasse une prédiction ?

— Sérieusement, monsieur le comte, reprit Condorcet, sur l’honneur ! on ne peut plus sérieusement.

— Eh bien ! marquis, dit Cagliostro d’une voix sourde et en abaissant la paupière sur son regard fixe, vous mourrez du poison que vous portez dans la bague que vous avez au doigt. Vous mourrez…

— Oh ! mais si je la jetais ? interrompit Condorcet.

— Jetez-la.

— Enfin vous avouez que c’est bien facile ?

— Alors, jetez-la, vous dis-je.

— Oh ! oui, marquis ! s’écria madame Dubarry, par grâce, jetez ce vilain poison ; jetez-le, ne fût-ce que pour faire mentir un peu ce prophète malencontreux qui nous afflige tous de ses prophéties. Car, enfin, si vous le jetez, il est certain que vous ne serez pas empoisonné par celui-là ; et comme c’est par celui-là que monsieur de Cagliostro prétend que vous le serez, alors, bon gré, mal gré, monsieur de Cagliostro aura menti.

— Madame la comtesse a raison, dit le comte de Haga.

— Bravo ! comtesse, dit Richelieu. Voyons, marquis, jetez ce poison ; ça fera d’autant mieux que maintenant que je sais que vous portez à la main la mort d’un homme, je tremblerai toutes les fois que nous trinquerons ensemble. La bague peut s’ouvrir toute seule… Eh… eh !

— Et deux verres qui se choquent sont bien près l’un de l’autre, dit Taverney. Jetez, marquis, jetez.

— C’est inutile, dit tranquillement Cagliostro, monsieur de Concordat ne le jettera pas.