Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 1.djvu/90

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pouvaient la conserver tout entière à leur gendre, elle apportait encore à son mari une dot de cinquante mille écus, qui, grâce aux espérances, ce mot atroce inventé par les entremetteurs de mariage, pouvait s’augmenter un jour d’un héritage d’un demi-million ; tous ces éléments réunis composaient donc pour Villefort un total de félicité éblouissant, à ce point qu’il lui semblait voir des taches au soleil, quand il avait longtemps regardé sa vie intérieure avec la vue de l’âme.

À la porte il trouva le commissaire de police qui l’attendait. La vue de l’homme noir le fit aussitôt retomber des hauteurs du troisième ciel sur la terre matérielle où nous marchons ; il composa son visage comme nous l’avons dit, et s’approchant de l’officier de justice :

— Me voici, Monsieur, lui dit-il, j’ai lu la lettre, et vous avez bien fait d’arrêter cet homme ; maintenant donnez-moi sur lui et sur la conspiration tous les détails que vous avez recueillis.

— De la conspiration, Monsieur, nous ne savons rien encore ; tous les papiers saisis sur lui ont été enfermés en une seule liasse, et déposés cachetés sur votre bureau. Quant au prévenu, vous l’avez vu par la lettre même qui le dénonce, c’est un nommé Edmond Dantès, second à bord du trois-mâts le Pharaon, faisant le commerce de coton avec Alexandrie et Smyrne, et appartenant à la maison Morrel et fils, de Marseille.

— Avant de servir dans la marine marchande, avait-il servi dans la marine militaire ?

— Oh ! non, Monsieur ; c’est un tout jeune homme.

— Quel âge ?

— Dix-neuf ou vingt ans au plus.

En ce moment, et comme Villefort, en suivant la Grande-Rue, était arrivé au coin de la rue des Conseils,