Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 3.djvu/94

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comme si j’eusse été son fils. En 1814, sous les Bourbons, il s’était marié ; l’Empereur revint de l’île d’Elbe, mon frère reprit aussitôt du service, et, blessé légèrement à Waterloo, il se retira avec l’armée derrière la Loire.

— Mais c’est l’histoire des Cent-Jours que vous me faites là, monsieur Bertuccio, dit le comte, et elle est déjà faite, si je ne me trompe.

— Excusez-moi, Excellence, mais ces premiers détails sont nécessaires, et vous m’avez promis d’être patient.

— Allez ! allez ! je n’ai qu’une parole.

— Un jour, nous reçûmes une lettre ; il faut dire que nous habitions le petit village de Rogliano, à l’extrémité du cap Corse : cette lettre était de mon frère ; il nous disait que l’armée était licenciée et qu’il revenait par Châteauroux, Clermont-Ferrand, le Puy et Nîmes ; si j’avais quelque argent, il me priait de le lui faire tenir à Nîmes, chez un aubergiste de connaissance, avec lequel j’avais quelques relations.

— De contrebande, reprit Monte-Cristo.

— Eh ! mon Dieu ! monsieur le comte, il faut vivre.

— Certainement ; continuez donc.

— J’aimais tendrement mon frère, je vous l’ai dit, Excellence ; aussi je résolus non pas de lui donner l’argent, mais de le lui porter moi même. Je possédais un millier de francs, j’en laissai cinq cents à Assunta, c’était ma belle-sœur ; je pris les cinq cents autres, je me mis en route pour Nîmes. C’était chose facile, j’avais ma barque, un chargement à faire en mer ; tout secondait mon projet.

Mais le chargement fait, le vent devint contraire, de sorte que nous fûmes quatre ou cinq jours sans pouvoir