Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 4.djvu/135

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Arles, puis d’Arles, je repris ma litière et continuai mon chemin pour Marseille. Ma convalescence dura dix mois ; je n’entendais plus parler de vous, je n’osai m’informer de ce que vous étiez devenue. Quand je revins à Paris, j’appris que, veuve de M. de Nargonne, vous aviez épousé M. Danglars.

À quoi avais-je pensé depuis que la connaissance m’était revenue ? Toujours à la même chose, toujours à ce cadavre d’enfant qui, chaque nuit, dans mes rêves, s’envolait du sein de la terre, et planait au-dessus de la fosse en me menaçant du regard et du geste. Aussi, à peine de retour à Paris, je m’informai ; la maison n’avait pas été habitée depuis que nous en étions sortis, mais elle venait d’être louée pour neuf ans. J’allai trouver le locataire, je feignis d’avoir un grand désir de ne pas voir passer entre des mains étrangères cette maison, qui appartenait au père et à la mère de ma femme ; j’offris un dédommagement pour qu’on rompît le bail ; on me demanda six mille francs, j’en eusse donné dix mille, j’en eusse donné vingt mille. Je les avais sur moi, je fis, séance tenante, signer la résiliation ; puis, lorsque je tins cette cession tant désirée, je partis au galop pour Auteuil. Personne, depuis que j’en étais sorti, n’était entré dans la maison.

Il était cinq heures de l’après-midi, je montai dans la chambre rouge et j’attendis la nuit.

Là, tout ce que je me disais depuis un an dans mon agonie continuelle se représenta, bien plus menaçant que jamais, à ma pensée.

Ce Corse qui m’avait déclaré la vendetta, qui m’avait suivi de Nîmes à Paris ; ce Corse, qui était caché dans le jardin, qui m’avait frappé, m’avait vu creuser la fosse, il m’avait vu enterrer l’enfant ; il pouvait en arriver à vous connaître ; peut-être vous connaissait-il… Ne vous