Page:Dumas - Le Comte de Monte-Cristo (1889) Tome 6.djvu/235

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passer la petite ville d’Aquapendente. Il marchait assez pour faire beaucoup de chemin, sans toutefois devenir suspect.

Vêtu d’une redingote ou plutôt d’un surtout que le voyage avait infiniment fatigué, mais qui laissait voir brillant et frais encore un ruban de la Légion d’honneur répété à son habit, cet homme, non seulement à ce double signe, mais encore à l’accent avec lequel il parlait au postillon, devait être reconnu pour un Français. Une preuve encore qu’il était né dans le pays de la langue universelle, c’est qu’il ne savait d’autres mots italiens que ces mots de musique qui peuvent, comme le goddam de Figaro, remplacer toutes les finesses d’une langue particulière.

Allegro ! disait-il aux postillons à chaque montée.

Moderato ! faisait-il à chaque descente.

Et Dieu sait s’il y a des montées et des descentes en allant de Florence à Rome par la route d’Aquapendente !

Ces deux mots, au reste, faisaient beaucoup rire les braves gens auxquels ils étaient adressés.

En présence de la ville éternelle, c’est-à-dire en arrivant à la Storta, point d’où l’on aperçoit Rome, le voyageur n’éprouva point ce sentiment de curiosité enthousiaste qui pousse chaque étranger à s’élever du fond de sa chaise pour tâcher d’apercevoir le fameux dôme de Saint-Pierre, qu’on aperçoit déjà bien avant de distinguer autre chose. Non, il tira seulement un portefeuille de sa poche, et de son portefeuille un papier plié en quatre, qu’il déplia et replia avec une attention qui ressemblait à du respect, et il se contenta de dire :

— Bon, je l’ai toujours.

La voiture franchit la porte del Popolo, prit à gauche et s’arrêta à l’hôtel d’Espagne.