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jambes, mais de tout le corps, devait être une des premières conditions de l’art.

Chicot ne paraissait pas avoir appris l’escrime à cette école ; on eût dit, au contraire, qu’il avait pressenti l’art moderne, dont toute la supériorité, et surtout toute la grâce, est dans l’agilité des mains et la presque immobilité du corps.

Il se posa droit et ferme sur l’une et l’autre jambe, avec un poignet souple et nerveux à la fois, avec une épée qui semblait un jonc flexible et pliant depuis la pointe jusqu’à la moitié de la lame, et qui était d’un inflexible acier depuis la garde jusqu’au milieu.

Aux premières passes, en voyant devant lui cet homme de bronze, dont le poignet seul semblait vivant, frère Jacques eut des impatiences de fer qui ne produisirent sur Chicot d’autre effet que de faire détendre son bras et sa jambe au moindre jour qu’il apercevait dans le jeu de son adversaire, et l’on comprend qu’avec cette habitude de frapper autant d’estoc que de pointe, ces jours étaient fréquents.

À chacun de ces jours, ce grand bras s’allongeait donc de trois pieds, et poussait droit dans la poitrine du frère un coup de bouton aussi méthodique que si un mécanisme l’eût dirigé, et non un organe de chair incertain et inégal.

À chacun de ces coups de bouton, Jacques, rouge de colère et d’émulation, faisait un bond en arrière.

Pendant dix minutes, l’enfant déploya toutes les ressources de son agilité prodigieuse : il s’élançait comme un chat-tigre, il se repliait comme un serpent, il se glissait sous la poitrine de Chicot, bondissait à droite et à gauche ; mais celui-ci, avec son air calme et son grand bras, saisissait son temps, et, tout en écartant le fleuret de son adversaire, envoyait toujours le terrible bouton à son adresse.

Frère Borromée pâlissait du refoulement de toutes les passions qui l’avaient surexcité naguère.