Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/244

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Enfin, Jacques se rua une dernière fois sur Chicot qui, le voyant mal d’aplomb sur ses jambes, lui présenta un jour pour qu’il se fendît à fond.

Jacques n’y manqua point, et Chicot, parant avec raideur, écarta le pauvre élève de la ligne d’équilibre, à tel point qu’il perdit contenance et tomba.

Chicot, immobile comme un roc, était resté à la même place.

Frère Borromée se rongeait les doigts jusqu’au sang.

— Vous ne nous aviez pas dit, Monsieur, que vous étiez un pilier de salle d’armes, dit-il.

— Lui ! s’écria Gorenflot ébahi, mais triomphant par un sentiment d’amitié facile à comprendre ; lui, il ne sort jamais !

— Moi, un pauvre bourgeois, dit Chicot ; moi, Robert Briquet, un pilier de salle d’armes ! Ah ! monsieur le trésorier !

— Mais enfin, Monsieur, s’écria frère Borromée, pour manier une épée comme vous le faites, il faut avoir énormément exercé.

— Eh ! mon Dieu, oui, Monsieur, répondit Chicot avec bonhomie, j’ai en effet tenu quelquefois l’épée ; mais en la tenant j’ai toujours vu une chose.

— Laquelle ?

— C’est que, pour celui qui la tient, l’orgueil est un mauvais conseiller, et la colère un mauvais aide. Maintenant, écoutez, mon petit frère Jacques, ajouta-t-il, vous avez un joli poignet, mais vous n’avez ni jambes ni tête ; vous êtes vif, mais vous ne raisonnez pas. Il y a dans les armes trois choses essentielles : la tête d’abord, puis la main et les jambes, avec la première on peut se défendre, avec la première et la seconde on peut vaincre ; mais en réunissant les trois on vainc toujours.

— Oh ! Monsieur, dit Jacques, faites donc assaut avec frère Borromée ; ce sera certainement bien beau à voir.