Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Chicot, dédaigneux, allait refuser la proposition ; mais il réfléchit que peut-être l’orgueilleux trésorier en prendrait-il avantage.

— Soit, dit-il, et si frère Borromée y consent, je suis à ses ordres.

— Non, Monsieur, répondit le trésorier, je serais battu ; j’aime mieux l’avouer que de faire preuve.

— Oh ! qu’il est modeste, qu’il est aimable ! dit Gorenflot.

— Tu te trompes, lui répondit à l’oreille l’impitoyable Chicot, il est fou de vanité ; à son âge, si j’eusse trouvé pareille occasion, j’eusse demandé à genoux la leçon que Jacques vient de recevoir.

Cela dit, Chicot reprit son gros dos, ses jambes circonflexes, sa grimace éternelle, et revint s’asseoir sur son banc.

Jacques le suivit ; l’admiration l’emportait chez le jeune homme sur la honte de la défaite.

— Donnez-moi donc des leçons, monsieur Robert, disait-il ; le seigneur prieur le permettra : n’est-ce pas, Votre Révérence ?

— Oui, mon enfant, répondit Gorenflot ; avec plaisir.

— Je ne veux point marcher sur les brisées de votre maître, mon ami, dit Chicot ; et il salua Borromée.

Borromée prit la parole.

— Je ne suis pas le seul maître de Jacques, dit-il, je n’enseigne pas seul les armes ici ; n’ayant pas seul l’honneur, permettez que je n’aie pas seul la défaite.

— Qui donc est son autre professeur ? se hâta de demander Chicot, voyant chez Borromée la rougeur qui décelait la crainte d’avoir commis une imprudence.

— Mais personne, reprit Borromée, personne.

— Si fait ! si fait, dit Chicot, j’ai parfaitement entendu. Quel est donc votre autre maître, Jacques ?

— Eh ! oui, oui, dit Gorenflot ; un gros court que vous m’avez présenté, Borromée, et qui vient ici quelquefois ; une bonne figure, et qui boit agréablement.