Page:Dumas - Les Quarante-Cinq, 1888, tome 1.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

En outre il avait reconnu, et cette découverte ne l’avait aucunement adouci, comme on le comprendra facilement, en outre il avait reconnu que, tout bon cavalier qu’il était, il ne pourrait, dans un cas donné, suivre Ernauton, son cheval étant fort inférieur à celui de son compagnon, et suant déjà sans avoir couru.

Cela le préoccupait fort : aussi, comme pour se rendre positivement compte de ce que pourrait faire sa monture, la tourmentait-il de la houssine et de l’éperon.

Cette insistance amena une querelle entre son cheval et lui.

Cela se passait aux environs de la Bièvre.

La bête ne se mit point en frais d’éloquence, comme avait fait Ernauton ; mais, se souvenant de son origine (elle était Normande), elle fit à son cavalier un procès que celui-ci perdit.

Elle débuta par un écart, puis se cabra, puis fit un saut de mouton et se déroba jusqu’à la Bièvre, où elle se débarrassa de son cavalier en roulant avec lui jusque dans la rivière, où ils se séparèrent.

On eût entendu d’une lieue les imprécations de Sainte-Maline, quoiqu’à moitié étouffées par l’eau.

Quand il fut parvenu à se mettre sur ses jambes, les yeux lui sortaient de la tête, et quelques gouttes de sang, coulant de son front écorché, sillonnaient sa figure.

Sainte-Maline jeta un coup d’œil autour de lui, son cheval avait déjà remonté le talus, et l’on n’apercevait plus que sa croupe, laquelle indiquait que la tête devait être tournée du côté du Louvre.

Moulu comme il l’était, couvert de boue, trempé jusqu’aux os, tout saignant et tout contusionné, Sainte-Maline comprenait l’impossibilité de rattraper sa bête ; l’essayer même était une tentative ridicule.

Ce fut alors que les paroles qu’il avait dites à Ernauton lui revinrent à l’esprit : s’il n’avait pas voulu attendre son compagnon une seconde rue Saint-Antoine, pourquoi son