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Page:Dumas - Mes mémoires, tome 5.djvu/118

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MÉMOIRES D’ALEX. DUMAS

qui s’était battu ; c’était lui qui avait eu deux doigts emportés, l’annulaire et le petit doigt.

Je remis ma carte à son domestique, et nous sortîmes.

Nous n’avions pas descendu deux étages, que nous entendîmes le domestique courant après nous.

M. X*** me faisait prier d’entrer.

Je trouvai un homme tout souriant malgré sa blessure, tout courtois malgré son attaque.

— Pardon, monsieur, me dit-il, du sans façon dont j’use vis-à-vis de vous, en vous priant de remonter et d’entrer chez moi ; mais j’abuse de mon privilège de blessé.

— Et cette blessure est-elle grave, monsieur ? lui demandai-je…

— Non, j’en serai quitte pour deux doigts de la main droite ; et, puisqu’il m’en reste trois pour vous écrire que je suis fâché de vous avoir été désagréable, c’est tout ce qu’il me faut.

— Mais il vous reste aussi la main gauche pour me la donner, monsieur ; lui dis-je, et ce sera mieux que de fatiguer la droite à quelque chose que ce soit.

Nous nous donnâmes la main ; nous causâmes de choses indifférentes ; puis, dix minutes après, nous prîmes congé l’un de l’autre.

Nous ne nous sommes jamais revus depuis, et, comme je l’ai dit, j’ai complètement oublié son nom.

C’est une grande faute de ma mémoire, car je m’en fusse toujours souvenu avec plaisir.

Et, singulière fantaisie du hasard, si cet homme n’avait pas eu une querelle avec Carrel, et si Carrel ne lui avait pas coupé deux doigts, c’était avec moi qu’il se battait, et il pouvait me tuer ou être tué par moi.

À quel propos, je vous le demande ?