Page:Dupuy - La vie d'Évariste Galois.djvu/66

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nier, avait soulevé d’indignation toute l’École. Il s’agit d’une lettre insérée dans le numéro du même jour de la Gazette des Écoles, puisqu’il faut l’appeler par son nom, et signé trop réellement Un Élève de l’École Normale. Cette lettre a paru à toutes les personnes qui en ont eu connaissance et qui m’en ont parlé, compromettre trop gravement l’honneur même de l’École pour qu’il me fût possible de n’y pas donner suite. D’ailleurs les élèves avaient, du premier moment, pris l’initiative, par un désaveu unanime, qui pouvait suffire à leurs consciences, mais qui ne suffisait ni à la justice, ni à ma dignité.

L’auteur de la Gazette ayant, dans son numéro d’aujourd’hui, décliné ce désaveu, et, d’une autre part, Galois m’étant désigné par tous les indices comme l’auteur de la lettre, j’ai pensé qu’il ne convenait pas de laisser plus longtemps l’École entière sous le poids de la faute d’un seul et que, le coupable reconnu, lui et moi ne pouvions, dès cet instant, demeurer ensemble dans la maison. Je l’ai donc expulsé à mes risques et périls, et j’ai fait tardivement, en cela, ce que vingt fois j’avais été tenté de faire, dans le cours de l’année dernière, et même depuis le commencement de celle-ci.

Galois, en effet, est le seul élève contre lequel j’aie eu, depuis son entrée à l’École, des sujets de plainte presque continuels, tant de la part des professeurs que de celle des maîtres-surveillants. Mais trop préoccupé de l’idée de son incontestable talent pour les Sciences mathématiques, et me défiant de mes propres impressions, parce que j’avais eu déjà des sujets de mécontentement personnel contre lui, j’ai toléré l’irrégularité de sa conduite, sa paresse, son caractère intraitable, dans l’espoir non pas de changer son moral, mais de le conduire à la fin de ses deux années, sans ravir à l’Université ce qu’elle avait droit d’attendre de lui, sans plonger dans la douleur une mère que je savais avoir besoin de compter sur l’avenir de son fils. Tous mes efforts ont été superflus, et j’ai eu beau mépriser mes injures, même depuis dimanche dernier, j’ai reconnu que le mal était sans remède ; il n’y a plus de sentiment moral chez le jeune homme, et peut-être depuis longtemps.

Ce n’est point à moi, personnellement insulté dans la Gazette des Écoles, qu’il appartient, Monsieur le Ministre, de provoquer des mesures qui mettent enfin un terme au scandale périlleux donné chaque jour par cette feuille, dans le sein même de l’Université. Mais qu’il me soit permis, comme chef du premier établissement universitaire, de déplorer les menées ouvertes qui ne tendent à rien moins qu’à diviser les maîtres d’avec les élèves, les élèves d’avec eux-mêmes, et à semer partout la défiance et le désordre. Non pas que l’École Normale ait rien à craindre de ces misérables instigations : la circonstance présente a fait éclater dans tout son jour l’excellent esprit des jeunes gens qui la composent ; ils se sont conduits avec une fermeté pleine de modération et de délicatesse ; je puis répondre d’eux comme ils répondent de moi. Mais le mal, aussitôt expulsé qu’introduit parmi nous, se propage