Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/191

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’infraction commise ; mais on croit que le sacrilège produit automatiquement la mort. Dans la plante ou dans l’animal totémique est censé résider un principe redoutable qui ne peut pénétrer dans un organisme profane sans le désorganiser ou le détruire[1]. Seuls, les vieillards sont, au moins dans certaines tribus, affranchis de cette interdiction[2] ; nous en verrons plus loin la raison.

Cependant, si la prohibition est formelle dans un très grand nombre de tribus[3] — sous la réserve des exceptions qui seront indiquées plus tard — il est incontestable qu’elle tend à s’atténuer à mesure que la vieille organisation totémique est plus ébranlée. Mais les restrictions mêmes qui se maintiennent alors démontrent que ces atténuations n’ont pas été admises sans difficultés. Par exemple, là où il est permis de manger de la plante ou de l’animal qui sert de totem, ce n’est pourtant pas en toute liberté ; on ne peut en consommer qu’une petite quantité à la fois. Dépasser la mesure constitue une faute rituelle qui a de graves conséquences[4]. Ailleurs, la défense subsiste tout entière pour les parties qui sont regardées comme les plus précieuses, c’est-à-dire comme les plus sacrées ; par exemple, les œufs ou la graisse[5]. Ailleurs encore, la consommation n’en est tolérée sans réserve que s’il s’agit d’un animal qui n’est pas encore parvenu à la pleine maturité[6]. Sans doute, on considère dans ce cas que sa nature sacrée n’est pas encore

  1. V. des cas dans Taplin, The Narrinyeri, p. 63 ; Howitt, Nat. Tr., p. 146, 769 ; Fison et Howitt, Kamilaroi a. Kurnai, p. 169 ; Roth, Superstition, Magic a. Medicine, § 150 ; Wyatt, Adelaide a. Encounter Bay Tribe, in Woods, p. 168 ; Meyer, ibid., p. 186.
  2. C’est le cas chez les Warramunga (North. Tr., p. 168).
  3. Par exemple, chez les Warramunga, les Urabunna, les Wonghihon, les Yuin, les Wotjobaluk, les Buandik, les Ngeumba, etc.
  4. Chez les Kaitish, si un homme du clan mange trop de son totem, les membres de l’autre phratrie ont recours à une manœuvre magique qui est censée le tuer (North. Tr., m. 294. Cf. Nat. Tr., p. 204 ; Langloh Parker, The Euahlayi Tribe, p. 20).
  5. Nat. Tr., p. 202 et note ; Strehlow, II, p. 58.
  6. North Tr., p. 173.