Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/269

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totem qu’elles. De cette façon, une femme pourra être fécondée par un esprit de son propre totem ou du totem de son mari, alors même qu’elle résidera dans un district totémique différent. Suivant qu’on imaginera que ce sont les ancêtres du mari ou les ancêtres de la femme qui suivent ainsi le jeune ménage en épiant les occasions de se réincarner, le totem de l’enfant sera ou celui de son père ou celui de sa mère. En fait, c’est bien ainsi que les Gnanji et les Umbaia, d’une part, les Urabunna, de l’autre, expliquent leurs systèmes de filiation.

Mais cette théorie, comme celle de Tylor, repose sur une pétition de principe. Pour pouvoir imaginer que les âmes humaines sont des âmes d’animaux ou de plantes, il fallait déjà croire que l’homme emprunte soit au monde animal soit au monde végétal ce qu’il y a de plus essentiel en lui. Or cette croyance est précisément une de celles qui sont à la base du totémisme. La poser comme une évidence, c’est donc s’accorder ce dont il faudrait rendre compte.

D’autre part, de ce point de vue, le caractère religieux du totem est entièrement inexplicable ; car la vague croyance en une obscure parenté de l’homme et de l’animal ne suffit pas à fonder un culte. Cette confusion de règnes distincts ne saurait avoir pour effet de dédoubler le monde en profane et en sacré. Il est vrai que, conséquent avec lui-même, Frazer se refuse à voir dans le totémisme une religion, sous prétexte qu’il ne s’y trouve ni êtres spirituels, ni prières, ni invocations, ni offrandes, etc. Suivant lui, ce ne serait qu’un système magique ; il entend par là une sorte de science grossière et erronée, un premier effort pour découvrir les lois des choses[1]. Mais nous savons ce qu’a d’inexact cette conception et de la religion et de la magie. Il y a religion dès que le sacré est distingué du profane et nous avons vu que le totémisme est un vaste système de choses sacrées. L’expliquer, c’est donc faire

  1. Fortn. Rev., mai 1899, p. 835, et juillet 1905, p. 162 et suiv.