Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/290

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et les absorba plus ou moins complètement. C’est avec le sens de l’unité tribale que s’éveilla le sens de l’unité substantielle du monde. Sans doute, nous montrerons plus loin[1] que les sociétés d’Australie connaissent déjà un culte commun à la tribu tout entière. Mais si ce culte représente la forme la plus haute des religions australiennes, il n’a pas réussi à entamer et à modifier les principes sur lesquels elles reposent : le totémisme est essentiellement une religion fédérative qui ne peut dépasser un certain degré de centralisation sans cesser d’être elle-même.

Un fait caractéristique montre bien que telle est la raison profonde qui, en Australie, a maintenu la notion de mana dans cet état de spécialisation. Les forces proprement religieuses, celles qui sont pensées sous la forme des totems, ne sont pas les seules avec lesquelles l’Australien se croit obligé de compter. Il y a aussi celles dont dispose plus particulièrement le magicien. Tandis que les premières sont, en principe, considérées comme salutaires et bienfaisantes, les secondes ont, avant tout, pour fonction de causer la mort et la maladie. En même temps que par la nature de leurs effets, elles diffèrent aussi par les rapports que les unes et les autres soutiennent avec l’organisation de la société. Un totem est toujours la chose d’un clan ; au contraire, la magie est une institution tribale et même inter-tribale. Les forces magiques n’appartiennent en propre à aucune portion déterminée de la tribu. Pour s’en servir, il suffit qu’on possède les recettes efficaces. De même, tout le monde est exposé à en sentir les effets et doit, par conséquent, chercher à s’en garantir. Ce sont des forces vagues qui ne sont attachées spécialement à aucune division sociale déterminée et qui peuvent même étendre leur action au-delà de la tribu. Or il est remarquable que, chez les Arunta et les Loritja, elles sont conçues comme de simples aspects et des formes particulières d’une

  1. V. plus loin, même livre chap. IX, §, p. 409 et suiv.