Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dieu présent au milieu d’eux et leur enjoignant de partir à la conquête de la Terre Sainte ; Jeanne d’Arc croyait obéir à des voix célestes[1].

Mais ce n’est pas seulement dans ces circonstances exceptionnelles que cette action stimulante de la société se fait sentir ; il n’est, pour ainsi dire, pas un instant de notre vie où quelque afflux d’énergie ne nous vienne du dehors. L’homme qui fait son devoir trouve, dans les manifestations de toute sorte par lesquelles s’expriment la sympathie, l’estime, l’affection que ses semblables ont pour lui, une impression de réconfort, dont il ne se rend pas compte le plus souvent, mais qui le soutient. Le sentiment que la société a de lui rehausse le sentiment qu’il a de lui-même. Parce qu’il est en harmonie morale avec ses contemporains, il a plus de confiance, de courage, de hardiesse dans l’action, tout comme le fidèle qui croit sentir les regards de son dieu tournés bienveillamment vers lui. Il se produit ainsi comme une sustentation perpétuelle de notre être moral. Comme elle varie suivant une multitude de circonstances extérieures, suivant que nos rapports avec les groupes sociaux qui nous entourent sont plus ou moins actifs, suivant ce que sont ces groupes, nous ne pouvons pas ne pas sentir que ce tonus moral dépend d’une cause externe ; mais nous n’apercevons pas où est cette cause ni ce qu’elle est. Aussi la concevons-nous couramment sous la forme d’une puissance morale qui, tout en nous étant immanente, représente en nous autre chose que nous-même : c’est la conscience morale dont, d’ailleurs, le commun des hommes ne s’est jamais fait une représentation un peu distincte qu’à l’aide de symboles religieux.

Outre ces forces à l’état libre qui viennent sans cesse renouveler les nôtres, il y a celles qui sont fixées dans les

  1. Les sentiments de peur, de tristesse peuvent se développer également et s’intensifier sous les mêmes influences. Ils correspondent, comme nous le verrons, à tout un aspect de la vie religieuse (v. liv. II, chap. V).