Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/398

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Les uns sont faits des impressions et des images qui se dégagent de tous les points de l’organisme ; les autres consistent en idées et en sentiments qui viennent de la société et qui l’expriment. Les premiers ne dérivent donc pas des seconds. Ainsi, il y a réellement une partie de nous-mêmes qui n’est placée sous la dépendance immédiate du facteur organique : c’est tout ce qui, en nous, représente la société. Les idées générales que la religion ou la science gravent dans nos esprits, les opérations mentales que ces idées supposent, les croyances et les sentiments qui sont à la base de notre vie morale, toutes ces formes supérieures de l’activité psychique que la société éveille et développe en nous ne sont pas à la remorque du corps, comme nos sensations et nos états cœnesthésiques. C’est que, comme nous l’avons montré, le monde des représentations dans lequel se déroule la vie sociale se surajoute à son substrat matériel, bien loin qu’il en provienne : le déterminisme qui y règne est donc beaucoup plus souple que celui qui a ses racines dans la constitution de nos tissus et il laisse à l’agent une impression justifiée de plus grande liberté. Le milieu dans lequel nous nous mouvons ainsi a quelque chose de moins opaque et de moins résistant : nous nous y sentons et nous y sommes plus à l’aise. En un mot, le seul moyen que nous ayons de nous libérer des forces physiques est de leur opposer les forces collectives.

Mais ce que nous tenons de la société nous est commun avec nos compagnons. Il s’en faut donc que nous soyons d’autant plus personnels que nous sommes plus individualisés. Les deux termes ne sont nullement synonymes : en un sens, ils s’opposent plus qu’ils ne s’impliquent. La passion individualise et, pourtant, elle asservit. Nos sensations sont essentiellement individuelles ; mais nous sommes d’autant plus des personnes que nous sommes plus affranchis des sens, plus capables de penser et d’agir par concepts. Ceux donc qui insistent sur tout ce qu’il y a de social dans l’individu n’entendent pas, pour cela, nier ou rabaisser la per-