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II

Les esprits dont il vient d’être question sont essentiellement bienfaisants. Sans doute il leur arrive de sévir si l’homme ne se conduit pas avec eux comme il convient[1] ; mais il n’est pas dans leur fonction de faire du mal.

Pourtant, l’esprit, par lui-même, peut servir au mal comme au bien. C’est pourquoi, en face des esprits auxiliaires et tutélaires, se constitua tout naturellement une classe de génies malins qui permirent aux hommes de s’expliquer les maux permanents dont ils ont à souffrir, les cauchemars[2], les maladies[3], les tourbillons et les tempêtes[4], etc. Ce n’est pas, sans doute, que toutes ces misères humaines aient paru choses trop anormales pour pouvoir être expliquées autrement que par des forces surnaturelles ; mais c’est que toutes les forces sont alors pensées sous forme religieuse. C’est un principe religieux qui est considéré comme la source de la vie ; il était donc logique de rapporter à un principe du même genre tous les événements qui troublent la vie ou qui la détruisent.

Ces esprits nuisibles semblent bien avoir été conçus sur le même modèle que les génies bienfaisants dont nous venons de parler. On se les représente sous forme animale, ou mi-partie animale et mi-partie humaine[5] ; mais on est

    manière la double nature de l’âme qui continuait à être sentie. L’idée subsistait qu’en dehors de l’âme individuelle il y en avait une autre chargée de veiller sur la première. Puisque cette puissance protectrice n’était plus désignée par le fait même de la naissance, on trouva naturel d’employer, pour la découvrir, des moyens analogues à ceux dont les magiciens se servaient pour entrer en commerce avec les forces dont ils s’assuraient le concours.

  1. V. par exemple Strehlow, II, p. 82.
  2. Wyatt, Adelaide and Encounter Bay Tribes, in Woods, p. 168.
  3. Taplin, The Narrinyeri, p. 62-63 ; Roth, Superstition, etc., § 116 ; Howitt, Nat. Tr., p. 356, 358 ; Strehlow, p. 11-12.
  4. Strehlow, I, p. 13-14 ; Dawson, p. 49.
  5. Strehlow, I, p. 11-14 ; Eylmann, p. 182, 185 ; Spencer et Gillen, North. Tr., p. 211 ; Schürmann, The Aborig. Tr. of Port Lincoln, in Woods, p. 239.