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vécu sur terre d’une vie tout humaine[1]. On le dépeint comme un grand chasseur[2], un puissant magicien[3], le fondateur de la tribu[4]. C’est le premier des hommes[5]. Une légende le représente même sous les traits d’un vieillard fatigué qui peut à peine se mouvoir[6]. S’il a existé chez les Dieri un dieu suprême appelé Mura-mura, le mot est significatif ; car il sert à désigner la classe des ancêtres. De même, Nuralie, nom du grand dieu dans les tribus de la rivière Murray, est parfois employé comme une expression collective qui s’applique à l’ensemble des êtres mythiques que la tradition place à l’origine des choses[7]. Ce sont des personnages tout à fait comparables à ceux de l’Alcheringa[8]. Déjà, nous avons rencontré dans le Queensland un dieu Anjea ou Anjir, qui fait les hommes et qui, pourtant, semble bien n’être que le premier des humains[9].

Ce qui a aidé la pensée des Australiens à passer de la pluralité des génies ancestraux à l’idée du dieu tribal, c’est qu’entre ces deux extrêmes un moyen terme s’est intercalé qui a servi de transition : ce sont les héros civilisateurs. Les êtres fabuleux que nous appelons de ce nom sont, en effet, de simples ancêtres auxquels la mythologie a attribué un rôle éminent dans l’histoire de la tribu et qu’elle a, pour cette raison, mis au-dessus des autres. Nous avons même vu qu’ils faisaient régulièrement partie de l’organisation totémique : Mangarkunjerkunja est du totem du

  1. Dawson, p. 49 ; Meyer, Encounter Bay Tribe, in Woods, p. 205, 206 ; Howitt, Nat. Tr., p. 481, 491, 492, 494 ; Ridley, Kamilaroi, p. 136.
  2. Taplin, The Narrinyeri, p. 55-56.
  3. L. Parker, More Austr. Leg. Tales, p. 94.
  4. Taplin, ibid., p. 61.
  5. Brough Smyth, I, p. 425-427.
  6. Taplin, ibid., p. 60.
  7. « Le monde fut créé par des êtres qu’on appelle des Nuralie ; ces êtres, qui existaient depuis longtemps, avaient la forme les uns du corbeau, les autres de l’aigle-faucon » (Brough Smyth, I, p. 423-424).
  8. « Byamee, dit Mrs L. Parker, est pour les Euahlayi ce que l’Alcheringa est pour les Arunta » (The Euahlayi, p. 6).
  9. V. plus haut, p. 369.