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forces religieuses ; il tient à des raisons plus profondes que nous aurons à rechercher plus loin.

Toutefois, il est clair que l’acte d’offrir éveille naturellement dans les esprits l’idée d’un sujet moral que cette offrande est destinée à satisfaire. Les gestes rituels que nous avons décrits deviennent plus facilement intelligibles, quand on croit qu’ils s’adressent à des personnes. Les pratiques de l’Intichiuma, tout en ne mettant en œuvre que des puissances impersonnelles, frayaient donc la voie à une conception différente[1]. Assurément, elles n’eussent pas suffi à susciter de toutes pièces l’idée de personnalités mythiques. Mais une fois que cette idée fut formée, elle fut amenée, par la nature même de ces rites, à pénétrer dans le culte ; dans la même mesure, elle devint moins spéculative ; mêlée plus directement à l’action et à la vie, elle prit, du même coup, plus de réalité. On peut donc croire que la pratique du culte favorisa, d’une manière secondaire sans doute, mais qui pourtant mérite d’être notée, la personnification des forces religieuses.

V

Mais il reste à expliquer la contradiction dans laquelle R. Smith voyait un inadmissible scandale logique.

Si les êtres sacrés manifestaient toujours leurs pouvoirs d’une manière parfaitement égale, il apparaîtrait, en effet, comme inconcevable que l’homme ait pu songer à leur offrir ses services ; car on ne voit pas quel besoin ils en pouvaient avoir. Mais tout d’abord, tant qu’ils se confondent avec les choses, tant qu’on voit en eux les principes de la vie cosmique, ils sont soumis eux-mêmes au rythme de cette vie. Or, elle passe par des oscillations en sens con-

  1. C’est ce qui fait qu’on a souvent parlé de ces cérémonies comme si elles s’adressaient à des divinités personnelles (v. par exemple un texte de Krichauff et un autre de Kempe cités par Eylmann, p. 202-203).