Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/554

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

objectivement et les choses sacrées qui la représentent symboliquement, la distance est considérable. Il a fallu que les impressions réellement ressenties par les hommes et qui ont servi de matière première à cette construction aient été interprétées, élaborées, transformées jusqu’à devenir méconnaissables. Le monde des choses religieuses est donc, mais seulement dans sa forme extérieure, un monde partiellement imaginaire et qui, pour cette raison, se prête plus docilement aux libres créations de l’esprit. D’ailleurs, parce que les forces intellectuelles qui servent à le faire sont intenses et tumultueuses, l’unique tâche qui consiste à exprimer le réel à l’aide de symboles convenables ne suffit pas à les occuper. Un surplus reste généralement disponible qui cherche à s’employer en œuvres supplémentaires, superflues et de luxe, c’est-à-dire en œuvres d’art. Il en est des pratiques comme des croyances. L’état d’effervescence où se trouvent les fidèles assemblés se traduit nécessairement au-dehors par des mouvements exubérants qui ne se laissent pas facilement assujettir à des fins trop étroitement définies. Ils s’échappent, en partie, sans but, se déploient pour le seul plaisir de se déployer, se complaisent en des sortes de jeux. Au reste, dans la mesure ou les êtres auxquels s’adresse le culte sont imaginaires, ils sont impropres à contenir et à régler cette exubérance ; il faut la pression de réalités tangibles et résistantes pour astreindre l’activité à des adaptations exactes et économiques. Aussi s’expose-t-on à des mécomptes quand, pour expliquer les rites, on croit devoir assigner à chaque geste un objet précis et une raison d’être déterminée. Il en est qui ne servent à rien ; ils répondent simplement au besoin d’agir, de se mouvoir, de gesticuler que ressentent les fidèles. On voit ceux-ci sauter, tourner, danser, crier, chanter, sans qu’il soit toujours possible de donner un sens à cette agitation.

Ainsi, la religion ne serait pas elle-même si elle ne faisait pas quelque place aux libres combinaisons de la pensée et