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et sans aucune influence divine. C’est lui, par exemple, qui brisa les portes de la caverne où étaient enfermées les aurores et qui fit jaillir la lumière du jour[1]. De même, ce sont des hymnes appropriées qui, par une action directe, ont fait couler sur la terre les eaux du ciel, et cela malgré les dieux[2]. La pratique de certaines austérités a la même efficacité. Il y a plus : « le sacrifice est si bien le principe par excellence qu’on lui rapporte, non seulement l’origine des hommes, mais encore celle des dieux. Une telle conception peut à bon droit paraître étrange. Elle s’explique cependant comme une des dernières conséquences de l’idée de la toute-puissance du sacrifice[3] ». Aussi, dans toute la première partie du travail de M. Bergaigne, n’est-il question que de sacrifices où les divinités ne jouent aucun rôle.

Le fait n’est pas spécial à la religion védique ; il est, au contraire, d’une très grande généralité. Dans tout culte, il y a des pratiques qui agissent par elle-mêmes, par une vertu qui leur est propre et sans qu’aucun dieu s’intercale entre l’individu qui exécute le rite et le but poursuivi. Quand, à la fête dite des Tabernacles, le Juif remuait l’air en agitant des branches de saule suivant un certain rythme, c’était pour provoquer le vent à se lever et la pluie à tomber ; et l’on croyait que le phénomène désiré résultait automatiquement du rite, pourvu que celui-ci ait été correctement accompli[4]. C’est là, d’ailleurs, ce qui explique l’importance primordiale attachée par presque tous les cultes à la partie matérielle des cérémonies. Ce

  1. La religion védique, p. 133.
  2. « Aucun texte, dit M. Bergaigne, ne témoigne mieux de la conscience d’une action magique de l’homme sur les eaux du ciel que le vers X, 32, 7, où cette croyance est exprimée en termes généraux, applicables à l’homme actuel, aussi bien qu’à ses ancêtres réels ou mythologiques : « L’ignorant a interrogé le savant ; instruit par le savant il agit et voici le profit de l’instruction : il obtient l’écoulement des rapides. »
  3. Ibid., (p. 139.
  4. On trouvera d’autres exemples dans Hubert, art. « Magia », in Dictionnaire des Antiquités, VI, p. 1509.