Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/608

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comme une expression raccourcie de la vie collective tout entière. Si la religion a engendré tout ce qu’il y a d’essentiel dans la société, c’est que l’idée de la société est l’âme de la religion.

Les forces religieuses sont donc des forces humaines, des forces morales. Sans doute, parce que les sentiments collectifs ne peuvent prendre conscience d’eux-mêmes qu’en se fixant sur des objets extérieurs, elles n’ont pu elles-mêmes se constituer sans prendre aux choses quelques-uns de leurs caractères : elles ont acquis ainsi une sorte de nature physique ; à ce titre, elles sont venues se mêler à la vie du monde matériel et c’est par elles qu’on a cru pouvoir expliquer ce qui s’y passe. Mais quand on ne les considère que par ce côté et dans ce rôle, on ne voit que ce qu’elles ont de plus superficiel. En réalité, c’est à la conscience que sont empruntés les éléments essentiels dont elles sont faites. Il semble d’ordinaire qu’elles n’aient un caractère humain que quand elles sont pensées sous forme humaine[1] ; mais même les plus impersonnelles et les plus anonymes ne sont autre chose que des sentiments objectivés.

C’est à condition de voir les religions par ce biais qu’il est possible d’apercevoir leur véritable signification. À s’en tenir aux apparences, les rites font souvent l’effet d’opérations purement manuelles : ce sont des onctions, des lavages, des repas. Pour consacrer une chose, on la met en contact avec une source d’énergie religieuse, tout comme, aujourd’hui, pour échauffer un corps ou pour l’électriser, on le met en rapports avec une source de chaleur ou d’électricité ; les procédés employés de part et d’autre ne sont pas essentiellement différents. Ainsi entendue, la technique religieuse semble être une sorte de mécanique mystique. Mais ces manœuvres matérielles ne sont que l’enveloppe extérieure sous laquelle se dissimulent

  1. C’est pour cette raison que Frazer et même Preuss mettent les forces religieuses impersonnelles en dehors ou, tout au plus, sur le seuil de la religion, pour les rattacher à la magie.