Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/64

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ne peut appartenir pleinement à l’un qu’à condition d’être entièrement sorti de l’autre, l’homme est exhorté à se retirer totalement du profane, pour mener une vie exclusivement religieuse. De là, le monachisme qui, à côté et en dehors du milieu naturel ou le commun des hommes vit de la vie du siècle, en organise artificiellement un autre, fermé au premier, et qui tend presque à en être le contre-pied. De là, l’ascétisme mystique dont l’objet est d’extirper de l’homme tout ce qui peut y rester d’attachement au monde profane. De là, enfin, toutes les formes du suicide religieux, couronnement logique de cet ascétisme ; car la seule manière d’échapper totalement à la vie profane est, en définitive, de s’évader totalement de la vie.

L’opposition de ces deux genres vient, d’ailleurs, se traduire au dehors par un signe visible qui permet de reconnaître aisément cette classification très spéciale, partout où elle existe. Parce que la notion du sacré est, dans la pensée des hommes, toujours et partout séparée de la notion du profane, parce que nous concevons entre elles une sorte de vide logique, l’esprit répugne invinciblement à ce que les choses correspondantes soient confondues ou simplement mises en contact ; car une telle promiscuité ou même une contiguïté trop directe contredisent trop violemment l’état de dissociation où se trouvent ces idées dans les consciences. La chose sacrée, c’est, par excellence, celle que le profane ne doit pas, ne peut pas impunément toucher. Sans doute, cette interdiction ne saurait aller jusqu’à rendre impossible toute communication entre les deux mondes ; car, si le profane ne pouvait aucunement entrer en relations avec le sacré, celui-ci ne servirait à rien. Mais, outre que cette mise en rapport est toujours, par elle-même, une opération délicate qui réclame des précautions et une initiation plus ou moins compliquée[1], elle n’est même pas possible sans que le profane

  1. V. plus haut ce que nous disons de l’initiation, p. 54.