Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/77

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aux choses de la nature, soit aux grandes forces cosmiques, comme les vents, les fleuves, les astres, le ciel, etc., soit aux objets de toute sorte qui peuplent la surface de la terre, plantes, animaux, rochers, etc. ; on lui donne pour cette raison le nom de naturisme. L’autre a pour objet les êtres spirituels, les esprits, âmes, génies, démons, divinités proprement dites, agents animés et conscients comme l’homme, mais qui se distinguent pourtant de lui par la nature des pouvoirs qui leur sont attribués et, notamment, par ce caractère particulier qu’ils n’affectent pas les sens de la même façon : normalement, ils ne sont pas perceptibles à des yeux humains. On appelle animisme cette religion des esprits. Or, pour expliquer la coexistence, pour ainsi dire universelle, de ces deux sortes de cultes, deux théories contradictoires ont été proposées. Pour les uns, l’animisme serait la religion primitive, dont le naturisme ne serait qu’une forme secondaire et dérivée. Pour les autres, au contraire, c’est le culte de la nature qui aurait été le point de départ de l’évolution religieuse ; le culte des esprits n’en serait qu’un cas particulier.

Ces deux théories sont, jusqu’à présent, les seules par lesquelles ont ait tenté d’expliquer rationnellement[1] les origines de la pensée religieuse. Aussi le problème capital que se pose la science des religions se réduit-il le plus souvent à savoir laquelle de ces deux solutions il faut choisir, ou s’il ne vaut pas mieux les combiner, et, dans ce cas, quelle place il faut faire à chacun de ces deux

  1. Nous laissons donc de côté, ici, les théories qui, en totalité ou en partie, font intervenir des données supra-expérimentales. C’est le cas de celle notamment qu’Andrew Lang a exposée dans son livre The Making of Religion et que le P. Schmidt a reprise, avec des variantes de détail, dans une série d’articles sur L’origine de l’idée de Dieu (Anthropos, 1908, 1909). Lang ne repousse pas complètement l’animisme ni le naturisme, mais, en dernière analyse, il admet un sens, une intuition directe du divin. D’ailleurs, si nous ne croyons pas devoir exposer et discuter cette conception dans le présent chapitre, nous n’entendons pas la passer sous silence ; nous le retrouverons plus loin quand nous aurons nous-même à expliquer les faits sur lesquels elle s’appuie (liv. II, chap. IX, § IV.)