Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/48

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servir, par où nous contrarier. Encore les notions ainsi formées ne présentent-elles cette justesse pratique que d’une manière approximative et seulement dans la généralité des cas. Que de fois elles sont aussi dangereuses qu’inadéquates ! Ce n’est donc pas en les élaborant, de quelque manière qu’on s’y prenne, que l’on arrivera jamais à découvrir les lois de la réalité. Elles sont, au contraire, comme un voile qui s’interpose entre les choses et nous et qui nous les masque d’autant mieux qu’on le croit plus transparent.

Non seulement une telle science ne peut être que tronquée, mais elle manque de matière où elle puisse s’alimenter. À peine existe-t-elle qu’elle disparaît, pour ainsi dire, et se transforme en art. En effet, ces notions sont censées contenir tout ce qu’il y a d’essentiel dans le réel, puisqu’on les confond avec le réel lui-même. Dès lors, elles semblent avoir tout ce qu’il faut pour nous mettre en état non seulement de comprendre ce qui est, mais de prescrire ce qui doit être et les moyens de l’exécuter. Car ce qui est bon, c’est ce qui est conforme à la nature des choses ; ce qui y est contraire est mauvais, et les moyens pour atteindre l’un et fuir l’autre dérivent de cette même nature. Si donc nous la tenons d’emblée, l’étude de la réalité présente n’a plus d’intérêt pratique et, comme c’est cet intérêt qui est la raison d’être de cette étude, celle-ci se trouve désormais sans but. La réflexion est ainsi incitée à se détourner de ce qui est l’objet même de la science, à savoir le présent et le passé, pour s’élancer d’un seul bond vers l’avenir. Au lieu de chercher à comprendre les faits acquis et réalisés, elle entreprend immédiatement d’en réaliser de nouveaux, plus conformes aux fins poursuivies