Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/55

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illustrer des analyses de notions plutôt qu’à décrire et à expliquer des choses, ils semblent bien n’être là que pour faire figure d’arguments. En réalité, tout ce qu’il y a d’essentiel dans sa doctrine peut être immédiatement déduit de sa définition de la société et des différentes formes de coopération. Car si nous n’avons le choix qu’entre une coopération tyranniquement imposée et une coopération libre et spontanée, c’est évidemment cette dernière qui est l’idéal vers lequel l’humanité tend et doit tendre.

Ce n’est pas seulement à la base de la science que se rencontrent ces notions vulgaires, mais on les retrouve à chaque instant dans la trame des raisonnements. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous ne savons pas avec certitude ce que c’est que l’État, la souveraineté, la liberté politique, la démocratie, le socialisme, le communisme, etc., la méthode voudrait donc que l’on s’interdît tout usage de ces concepts, tant qu’ils ne sont pas scientifiquement constitués. Et cependant les mots qui les expriment reviennent sans cesse dans les discussions des sociologues. On les emploie couramment et avec assurance comme s’ils correspondaient à des choses bien connues et définies, alors qu’ils ne réveillent en nous que des notions confuses, mélanges indistincts d’impressions vagues, de préjugés et de passions. Nous nous moquons aujourd’hui des singuliers raisonnements que les médecins du moyen âge construisaient avec les notions du chaud, du froid, de l’humide, du sec, etc., et nous ne nous apercevons pas que nous continuons à appliquer cette même méthode à l’ordre de phénomènes qui le comporte moins que tout autre, à cause de son extrême complexité.