Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/94

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a qu’une raison qui puisse permettre de la traiter de funeste, c’est qu’elle trouble le jeu normal des fonctions. Mais une telle preuve suppose le problème déjà résolu ; car elle n’est possible que si l’on a déterminé au préalable en quoi consiste l’état normal et, par conséquent, si l’on sait à quel signe il peut être reconnu. Essaiera-t-on de le construire de toutes pièces et a priori ? Il n’est pas nécessaire de montrer ce que peut valoir une telle construction. Voilà comment il se fait que, en sociologie comme en histoire, les mêmes événements sont qualifiés, suivant les sentiments personnels du savant, de salutaires ou de désastreux. Ainsi il arrive sans cesse à un théoricien incrédule de signaler, dans les restes de foi qui survivent au milieu de l’ébranlement général des croyances religieuses, un phénomène morbide, tandis que, pour le croyant, c’est l’incrédulité même qui est aujourd’hui la grande maladie sociale. De même, pour le socialiste, l’organisation économique actuelle est un fait de tératologie sociale, alors que, pour l’économiste orthodoxe, ce sont les tendances socialistes qui sont, par excellence, pathologiques. Et chacun trouve à l’appui de son opinion des syllogismes qu’il juge bien faits.

Le défaut commun de ces définitions est de vouloir atteindre prématurément l’essence des phénomènes. Aussi supposent-elles acquises des propositions qui, vraies ou non, ne peuvent être prouvées que si la science est déjà suffisamment avancée. C’est pourtant le cas de nous conformer à la règle que nous avons précédemment établie. Au lieu de prétendre déterminer d’emblée les rapports de l’état normal et