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MERLIN L’ENCHANTEUR.

Alors son compagnon qui s’était tenu muet, se voyant seul avec le prophète, fut pris d’une terreur divine ; il tenta de s’échapper, les cheveux et la barbe hérissés, à travers les précipices qui s’ouvraient sous ses pas.

Mais l’enchanteur le suivant de près lui cria aussitôt : « Âme farouche, pourquoi fuis-tu par ces chemins escarpés ? Crois-tu que, moi aussi, je ne sache pas marcher à travers les abîmes ? Est-ce ainsi que tu fuis l’inspiration quand elle fond sur toi comme le faucon ? Ou bien as-tu peur de voir trop tôt le jour ? Ne crains rien, je t’apporte la paix. »

Apprivoisée par ce langage, l’âme farouche s’arrêta. Merlin lui dit :

« Va ! je t’ai reconnu plus vite que ton compagnon, quoique tu m’aies aussi voilé ton visage. Pourquoi me fuis-tu, toi que les hommes appelleront Michel-Ange ? »

En entendant son nom pour la première fois, l’âme indomptable sourit ; car ce nom lui plut ; elle prit plaisir à le répéter elle-même.

« Toi aussi, es-tu pressé de naître ? demanda l’Enchanteur.

— Non, répondit la voix triste et déjà terrible de celui qui méditait Moïse.

— Profite des jours et des siècles qui te sont laissés pour préparer à loisir les belles formes que tu dois montrer au monde ! Il y a aussi de l’argile dans les limbes pour pétrir de beaux corps ; le limon ne te manquera pas. Ébauche ici d’avance dans ce grand atelier tes œuvres divines au fond de ta pensée, et garde-