Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/185

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long courait perdre son argent en jouant aux quilles et au bouchon avec des rouliers et d’autres camarades de la grand’route ; Gust raccolait parmi ses équipes de faneuses la guenipe la moins déplaisante, l’emmenait à des lieues de Doersel pour être plus libre, battait en sa compagnie les cabarets de villages inconnus, la soûlait, la rouait de coups et finissait par s’affaler avec elle au bord d’un talus ou dans une douve sans eau où il la soumettait à toutes les inventions de sa luxure. Quant à Pauw, gobelottant dès l’aube et ivre à midi, il passait l’autre moitié du jour à cuver son alcool, vautré à côté de ses ruminants et ronflant à couvrir leurs meuglements.

Véva, leur sœur, ressemblait tout au plus à Gust, son jumeau. C’était un crâne brin de femelle, avec une poitrine mamelue, rondement modelée, une croupe montueuse, de larges hanches, des jambes et des bras charnus sans disproportion. Son teint luisait comme la pelure d’une pomme vineuse ; ses yeux clairs d’émérillon luttaient de hardiesse avec ceux des piaffeurs. Elle avait la langue bien pendue et les gars de la paroisse prédisaient qu’elle ferait passer des nuits paradisiaques mais des journées infernales à qui la prendrait pour femme. Aussi, malgré ses avantages physiques et l’appeau de sa part d’héritage, elle rebutait les prétendants. Elle éconduisait les fils des plus gros terriens de la contrée. La réputation du père et des trois fils, de terribles coucheurs, éloignait les galants sans fortune.

Mais Marcus Tybout n’était pas homme à reculer. La fière Véva ne lui résista pas plus que les autres. Au