Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/186

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contraire, elle fit la moitié du chemin à la rencontre de son désir. Connaissant l’inconstance et les nombreuses aventures de Marcus, elle éprouva pour lui une de ces passions douloureuses dont la jalousie aiguillonne et exaspère les transports. Elle l’aimait férocement et entendait le garder entièrement pour elle, ne le lâcher jamais plus. Aussi, lorsqu’elle songeait à un abandon possible, des vapeurs homicides montaient à son cerveau.

Depuis plusieurs mois que durait leur liaison, le futé gaillard s’introduisait chaque soir, vers les minuit, dans la cuisine des Mollendraf. Genovéva lui ouvrait la porte et à côté de la chambre du père, au pied de la soupente où s’allongeaient les trois pétras de frères, tous deux frissonnant d’une anxiété délicieuse, relevant leurs clandestines tendresses d’un âpre piment, ils s’engageaient dans de longues conversations d’où les vocables étaient proscrits pour faire place à la plus éloquente des pantomimes.

Ce soir de juin, lorsque Marcus contournant le corps de ferme déboucha dans la cour et la traversa sans même provoquer un aboiement de la part du grand spits noir habitué à ses visites, Véva l’attendait sur le seuil de la porte. Il était fort tôt ; mais dans son billet la mâtine avertissait le galant que retenus en Hollande, par une vente complexe d’instruments aratoires et de cheptel, aucun des siens ne serait à la maison.

Comme il ouvrait les bras pour l’attirer à lui, elle s’y précipita avec une agitation nerveuse et, fondant en larmes, elle lui avoua une catastrophe : elle était grosse.