Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/198

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Stann pintât souvent et beaucoup. Chaque jour même il ingurgitait un verre de genièvre — un simple dé à coudre, comme il disait — de plus que la veille.

Le soir, en revenant de la ville, il s’attardait dans les « chapelles » et ne démarrait de la dernière que lorsque le baes le poussait dehors par les épaules. Alors, il allait à la grâce du dieu des ivrognes, maugréant et titubant, buttant et culbutant. Lorsqu’il échouait au logis, plein comme une dame-jeanne, il fallait que sa femme, la patiente Annemie, le charriât sur son lit.

Le lendemain, un peu dégrisé, avant de partir pour la besogne, le lifreloffre faisait les plus solennelles promesses à son indulgente moitié, pressait tendrement sa nichée sur son cœur, se remplissait les yeux et l’âme de leurs roses frimousses auréolées de tignasses blondes, afin de résister l’après-midi aux sollicitations de son gavion, et s’éloignait, guilleret et résolu, l’outil sur l’épaule, la gourde et le havresac au flanc, réconcilié avec lui-même.

Malheureusement, à mesure que la journée s’écoulait, les viriles résolutions de l’aube s’ébranlaient, les évocations du foyer pâlissaient et finissaient par laisser le champ libre aux mirages pervers de la boisson. Ainsi la totalité du salaire se fondait sur les comptoirs des liquoristes.

Entretemps sa famille subissait des privations, les joues potelées des enfants se cousaient : Anneke, dolente, besoignait et tremblait la fièvre ; le propriétaire menaçait de les expulser s’ils ne payaient intégralement à l’an neuf les quatre mois échus du loyer. Alors en-