Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/200

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qu’en revanche, un minuscule dé de kwak lui donnerait des jambes pour brûler les dernières étapes.

Il résista d’abord à ce conseil insidieux, tâcha de gagner du temps et d’émousser son envie, parvint ainsi à dépasser trois herberges encore, toutes trois des plus recommandables de l’itinéraire pour leur spécialité de « bonnets de nuit » ; mais à la onzième, il succomba, franchit le seuil et demanda du « meilleur » en faisant sauter la luisante pièce blanche sur le comptoir.

Cette concession faite à l’habitude, aussitôt il reprit goût au liquide et ne sortit de cet estaminet que pour enfiler la porte du suivant. Retombé dans ses pratiques coutumières, il n’omit aucune station du pèlerinage. Un moment il éprouvait un remords, une honte en voyant se fractionner le noble blanc métal en une vile mitraille de sous vertdegrisés. Et il se représenta le réveillon projeté, la familiale attablée, les platées rissolantes de noudles et de couquebaques, les battements de mains de Rik, Pol et Mitje, et à la cantonade le sourire attendri de la mère, affairée, courant, la poêle à la main, des fourneaux à la table, et prenant à peine le temps de goûter à sa cuisine.

Au lieu que ces captivantes images du foyer l’arrêtassent dans ses libations, il voulut réagir contre les révoltes de sa conscience en renforçant la dose du poison. Il s’étourdit si bien qu’arrivé à la dernière borne kilométrique avant l’entrée du village, patatra ! il s’allongea dans la neige, se redressa en s’appuyant sur les poings, culbuta de nouveau, marmotta quelques invectives a son adresse, attendit pour se relever que