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IV

La Cantate.


En flânant sur les quais, Door Bergmans aperçut un particulier dont la mine l’intrigua. Il eut un sursaut d’étonnement. « Je me trompe ! » se dit-il en poursuivant sa route. Mais après quelques pas il rebroussa chemin et, reconnaissant bel et bien Laurent Paridael, il marcha droit à lui la main tendue.

Laurent, en train de surveiller un chargement de balles de riz entrepris par l’ « Amérique », se troubla un peu, fit même le mouvement de se dérober, mais apprivoisé par l’abord affectueux et simple du tribun, abandonna momentanément son poste et se laissa entraîner non loin de là. Mis au courant, Bergmans railla doucement la fantaisie qui l’avait poussé à entrer comme clerc dans une nation et à servir les débardeurs ; il lui reprocha de ne pas s’être adressé plutôt à lui et il lui offrit même sur-le-champ, dans ses bureaux, une place plus digne de son savoir et plus compatible avec son éducation. Mais, à la surprise de plus en plus grande du tribun, Laurent refusa d’abandonner sa nouvelle profession. Il décrivit même en termes si enthousiastes, avec un épanchement si sincère son nouveau milieu et ses nouveaux partenaires, qu’il justifia presque son étrange préférence et que Bergmans n’insista plus. Il s’abstint de nommer Gina et, mis complètement à l’aise, Laurent accueillit avec empressement la proposition de se réunir de temps en temps avec Marbol et Vyvéloy.

Le peintre Marbol, un petit homme sec, tout nerfs, cachait sous une apparence anémique et friable de souffreteux, une énergie, une persévérance extraordinaire. Depuis une couple

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