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VI

Les Troubles.


Ce fut d’abord de la consternation, ensuite de la rage, qui s’emparèrent de la population anversoise, à l’issue définitive de la lutte. Les riches l’emportaient, mais avec le concours de la corruption et de la bêtise. Les campagnards avaient opposé leur veto à la volonté de la grande ville. Les vainqueurs, qui ne pouvaient se dissimuler l’aloi équivoque de ce triomphe, commirent la faute de vouloir le célébrer et, assez penauds, intérieurement, ils payèrent d’audace, affectèrent de la jubilation et déterminèrent, chez la foule, par leurs bravades et leurs défis grimaçants, l’explosion des sentiments hostiles qu’elle contenait, à grand’peine, depuis le matin. Toutefois ils n’osèrent pas se montrer au balcon de leur club où les appelait ironiquement la fourmilière, la houle de têtes convulsées, pâles et blêmes de dépit, ou rouges et échauffées, rictus sardoniques, lèvres pincées, yeux qui rencognent des larmes de rage.

Cinq heures. La nuit est tombée. Les riches regagnent leurs hôtels de la ville neuve, en se glissant timidement à travers la foule qui continue de stationner sur le forum.

Tous restent là angoissés, ne sachant à quoi se résoudre, les poings fermés, certains que « cela ne se passera pas ainsi », mais ignorant comment « cela se passera ».

En prévision des troubles, le bourgmestre a consigné la garde civique, les postes sont doublés, la gendarmerie est sous les armes.

Bergmans traversant la place a été reconnu, acclamé, porté en triomphe. Il se dérobe comme il peut à ces ovations ; depuis

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