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IX

La Bourse.


Une heure ! l’heure réglementaire de l’ouverture de la Bourse sonne à l’horloge, dernier vestige de l’ancien édifice incendié, à la diligente horloge qui, lorsque les flammes la serraient de près et avaient tout dévoré autour d’elle, s’obstinait, servante féale, à mourir au champ du devoir en donnant l’heure officielle à la ville marchande…

Une heure ! Dépêchez, retardataires ! Expédiez votre lunch, n’en faites qu’une bouchée, hommes d’affaires, hommes d’argent ! Joueurs de dominos, d’autres combinaisons vous réclament ! Achevez de siroter votre café, de sabler la fine champagne. Plantez-là le journal pourtant si concis et rédigé, en nègre, à votre intention. Réglez et filez ou gare l’amende.

Une heure ! Ils affluent de tous les points de la ville et surtout de la Cité. Riches d’aujourd’hui, riches de demain et aussi riches de la veille, qui s’évertuent et luttent contre la débâcle, millionnaires dont l’herbe a fait du foin qu’ils engrangent dans leurs bottes, ou encore millionnaires dont le foin a flambé comme un simple feu de paille !

Va, cours, vole — parfois dans les deux sens du verbe — misérable suppôt de la Fortune ! La roue tourne, accroche-toi à ses rais, essaie d’en régler le mouvement ! Voyez-les se bousculer, se passer sur le corps, pour agripper la roue fatale, pour s’y cramponner avec l’opiniâtreté des rapaces ; aujourd’hui au-dessus, demain en dessous ! La roue tourne et tourne, et l’essieu grince et craque… Et ses craquements ont de sinistres échos : Krach !