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LA NOUVELLE CARTHAGE

turne. Sa timidité croissait ; il s’en voulait d’être ridicule devant elle.

Ce jour-là, Gina portait son uniforme de pensionnaire : une robe grise garnie de soie bleue. Elle raconta à son compagnon, qui ne se lassait pas de l’entendre, les particularités de son pensionnat de religieuses à Malines ; elle le régala même de quelques caricatures de sa façon ; contrefit, par des grimaces et des contorsions, certaines des bonnes sœurs. La révérende mère louchait ; sœur Véronique, la lingère, parlait du nez ; sœur Hubertine s’endormait et ronflait à l’étude du soir.

Le chapitre des infirmités et des défauts de ses maîtresses la mettant en verve, elle prit plaisir à embarrasser son interlocuteur : « Est-il vrai que ton père était un simple commis ?… Il n’y avait qu’une petite porte et qu’un étage à votre maison ?… Pourquoi donc que vous n’êtes jamais venus nous voir ?… Ainsi nous sommes cousins… C’est drôle, tu ne trouves pas… Paridael, c’est du flamand cela ?… Tu connais Athanase et Gaston, les fils de M. Saint-Fardier, l’associé de papa ? En voilà des gaillards ! Ils montent à cheval et ne portent plus de casquettes… Ce n’est pas comme toi… Papa m’avait dit que tu ressemblais à un petit paysan, avec tes joues rouges, tes grandes dents et tes cheveux plats… Qui donc t’a coiffé ainsi ? Oui, papa a raison, tu ressembles bien à un de ces petits paysans qui servent la messe, ici ! »

Elle s’acharnait sur Laurent avec une malice implacable. Chaque mot lui allait au cœur. Plus rouge que jamais, il s’efforçait de rire, comme au portrait des bonnes sœurs, et ne trouvait rien à lui répondre.

Il aurait tant voulu prouver à cette railleuse qu’on peut porter une blouse taillée comme un sac, une culotte à la fois trop longue et trop large, faite pour durer deux ans et godant, aux genoux, au point de vous donner la démarche d’un cagneux ; une collerette empesée d’où la tête pouparde et penaude du sujet émerge comme celle d’un Saint Jean-Baptiste après la décollation ; une casquette de premier communiant dont le crêpe de deuil dissimulait mal les passementeries extravagantes, les macarons de jais et de velours, les boucles inutiles, les glands encombrants ; qu’on peut être vêtu comme un fils de fermier et ne pas être plus niais et plus bouché qu’un Gaston ou qu’un Athanase Saint-Fardier.

La bonne Siska n’était pas un tailleur modèle, tant s’en faut, mais du moins ne ménageait-elle pas l’étoffe ! Puis, Jacques Paridael trouvait si bien ainsi son petit Laurent ! Le jour de la première communion, le cher homme lui avait encore dit en l’embrassant : « Tu es beau comme un prince, mon Lorki ! » Et