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LA NOUVELLE CARTHAGE

au fond, il eût préféré qu’elle s’informât de ce qu’était devenu son présent.

Il s’étourdit, se laissa mener par Gina. Ils jouèrent à des jeux garçonniers. Pour lui plaire, il fit des culbutes, jeta des cris sauvages, se roula dans l’herbe et le gravier, souilla ses beaux habits, et la poussière marbra de crasse ses joues humides de sueur et de larmes.

— Oh, la drôle de tête ! s’exclama la fillette.

Elle trempa un coin de son mouchoir dans le bassin et essaya de débarbouiller Laurent. Mais elle riait trop et ne parvenait qu’à le maculer davantage.

Il se laissait faire, heureux de ses soins dérisoires. La perfide lui dessinait des arabesques sur le visage, si bien qu’il avait l’air d’un peau-rouge tatoué.

Pendant cette opération une voix aigre se mit à glapir :

— Mademoiselle, Monsieur vous prie de rentrer… Le monde va partir… Et vous, venez par ici. Il est temps de se coucher. Demain on retourne à la pension. C’est assez de vacances comme ça !

Mais à l’aspect du jeune Paridael, Félicité, la redoutable Félicité, la servante de confiance se récria comme devant le diable : « Fi ! l’horreur d’enfant ! »

Elle était venue le prendre au collège, la veille, et devait l’y reconduire. Acariâtre, bougonne, servile, rouée, flattant l’orgueil de ses maîtres en s’assimilant leurs défauts, elle devinait d’emblée le pied sur lequel l’enfant serait traité dans la maison. La cousine Lydie se déchargeait sur cette vilaine servante de l’entretien et de la surveillance de l’intrus.

L’imprudent Paridael venait de ménager à Félicité un magnifique début dans son rôle de gouvernante. La harpie n’eut garde de négliger cette aubaine. Elle donna libre carrière à ses aimables sentiments.

Gina, continuant de pouffer, abandonna son compagnon aux bourrades et aux criailleries de la servante, et rentra en courant dans le salon, pressée de raconter la farce à ses parents et à la société.

Laurent avait fait un mouvement pour rejoindre l’espiègle, mais Félicité ne le lâchait pas. Elle le poussa vers l’escalier et lui fit d’ailleurs une telle peinture des dispositions de M. et Mme Dobouziez pour les petits gorets de son espèce, qu’il se hâta, terrifié, de gagner la mansarde où on le logeait et de se blottir dans ses draps.

Félicité l’avait pincé et taloché. Il fut stoïque, ne cria point : s’en tint à quatre devant la mégère.

Le dénouement orageux de la journée fit diversion au deuil