Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

III

Le Riet-Dijk.


Au nombre des quartiers sur le point de disparaître se trouvait le Riet-Dijk : une venelle étroite s’étranglant derrière la bordure des maisons du quai de l’Escaut, aboutissant d’un côté à une façon de canal, bassin de batelage et garage de barques, de l’autre, à une artère plus large et plus longue, le Fossé-du-Bourg.

Riet-Dijk et Fossé-du-Bourg agglomèrent les lupanars. C’est le « coin de joie », le Blijden Hoek des anciennes chroniques. Dans la ruelle, les maisons galantes hautement tarifées ; dans la rue large, les gros numéros pour les fortunes modiques et précaires. Chaque caste, chaque catégorie de chalands trouve, en cet endroit, le bordel congruent : riches, officiers de marine, matelots, soldats.

Les uns joignent au confort et à l’élégance modernes le luxe des anciennes « étuves » et des maisons de baigneurs, bateaux de fleurs où le vice se complique, se raffine, se prolonge. Dans les autres, sommaires, primitifs, on cherche moins le plaisir que le soulagement ; les gaillards copieux, que congestionnent les continences prolongées, y dépensent leurs longues épargnes des nuits de chambrée et d’entrepont sans s’attarder aux fioritures et aux bagatelles de la porte, sans entraînement préparatoire, sans qu’il faille recourir aux émoustillants et aux aphrodisiaques. Ces bouges subalternes sont aux premiers ce que sont les bons débits de liqueurs où le soiffard se tient debout et siffle rapidement son vitriol sur le zinc, aux cafés où l’épicurien s’éternise et sirote, en gourmet, des élixirs parfumés.