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LA NOUVELLE CARTHAGE

Comme il s’endormait pour de bon, indifférent aux caresses reconnaissantes et presque canines d’une fille, il sursauta au bruit d’une explication assez vive à l’entrée de l’escalier, suivi de pas dans l’escalier, puis dans le corridor, qui se rapprochèrent du cabinet où soupait Laurent, mais s’arrêtèrent devant le numéro voisin.

— Ouvrez ! Au nom de la loi ! commanda une voix grave, aux intonations brutalement professionnelles, celle d’un commissaire de police.

Laurent revenu complètement à lui, dégrisé en un clin d’œil, enjoint à ses compagnons de faire silence, en même temps qu’il colle l’oreille à la cloison, séparant les deux pièces. Des cris, un tohu-bohu, de la casse, une fenêtre qu’on ouvre, mais pas de réponse. Puis le fracas de la porte qu’on a fait sauter.

Insurgé d’instinct contre toute autorité légale, prêt à prendre parti, contre la police, pour les noceurs inquiétés, Laurent s’est précipité au dehors, et, par dessus les épaules du commissaire arrêté sur le seuil du salon, celles de Béjard, d’Athanase et de Gaston, il aperçoit à sa profonde consternation, Angèle et Cora, blotties chacune dans un angle de la chambre et s’efforçant de dissimuler dans les plis d’un rideau de fenêtre, la simplicité païenne de leur toilette. Non loin d’elles, cherchant à prendre une contenance, un air digne et résolu, incompatible, pourtant, avec leur ajustement aussi sommaire que celui de leurs belles, se campent le svelte Von Frans, le gros Ditmayr et aussi — bien reconnaissable quoiqu’il n’ait pas plus gardé que le reste, sa cravate rouge et ses gants patte de canard — le rastaquouère basané à qui Laurent apprit cet après-midi à lancer les pepernotes.

Les maris sont peut-être plus atterrés, plus éplafourdis encore que les galants. Le commissaire lui-même manque d’assurance et s’embarrasse dans sa procédure.

Mais le côté grotesque et baroque de cette scène moderniste ne frappe point Laurent ; il n’envisage et ne suppute que les conséquences pénibles et tragiques de cet éclat.

La présence de Béjard eût d’ailleurs suffi pour lui ôter toute envie de rire. Seul, le vilain apôtre semble à son aise. On croirait même que ce scandale le réjouit. Dans tous les cas, il est homme à l’avoir fomenté d’abord pour le faire éclater à point voulu. Qui sait de quelle noire scélératesse il compliquera ce déplorable esclandre.

Lui seul a pénétré dans la pièce ! Il va de la table à la fenêtre, remue la vaisselle, manipule le couvert, furète dans les coins, montre une effrayante présence d’esprit, dirige les perquisi-