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LA NOUVELLE CARTHAGE

Mais Félicité trouvait toujours les vêtements beaucoup trop beaux pour un garçon si négligent sur ses effets : « Vrai, madame, les sabots, la blouse, la casquette et la culotte en cuir de nos ouvriers lui conviendraient mieux ! »

La cousine Lydie arrachait presque, par serment, à l’heureux Paridael, la promesse de bien ménager ces habillements. C’était des « bien sûr ? » et des « tu te corrigeras, n’est-ce pas ? » comme si on lui eût confié la tunique sans couture du Sauveur. À tel point que devant la lourde responsabilité qu’il endosserait en même temps que la défroque du cousin, Laurent eût préféré revêtir, en effet, les hardes inusables et commodes des manœuvres, ses amis.

Il ne restait plus qu’à disposer de certaine culotte à carreaux verts et bleus, une horreur que le cousin lui-même, peu exigeant sur le chapitre de la toilette, avait répudiée dès la troisième épreuve.

Félicité guignait ces bragues désastreuses pour les revendre au fripier. Chaque pièce d’habillement dévolue à l’orphelin diminuait d’autant le profit du factotum à qui revenait autrefois la dépouille des maîtres. Cette circonstance n’était pas étrangère à l’animosité qu’elle entretenait à l’égard de Laurent. Celui-ci, cependant, lui aurait volontiers cédé toute la garde-robe du cousin, et surtout ce désastreux pantalon épinard et indigo ; mais il n’osait témoigner ouvertement sa répugnance, la cousine Lydie s’étant mis en tête de lui causer une grande joie.

En ce moment Régina qui cherchait sa mère se présenta sur le palier des combles.

— Oh ! le cauchemar ! fit-elle ; j’espère bien, maman, que tu ne vas pas faire porter cette friperie à Laurent ! C’est pour le coup que le paysan mériterait son nom !

Et, prise d’un bon mouvement fraternel, Gina ayant examiné le tas de vieilleries destinées à son cousin, déclara qu’il y avait là de quoi lui tailler quelques vêtements de fatigue, mais rien dont on pût retirer un costume habillé : « Viens nous-en, mère, dit-elle, j’ai deux courses à faire en ville, et en passant, nous verrons les fournisseurs d’Athanase et Gaston Saint-Fardier. Ils trouveront bien moyen de décrasser un peu ce bonhomme ; allons, arrive, toi ! »

Pas moyen de résister à Gina ! Félicité dévora son dépit et se consola de l’insolite faveur témoignée par la capricieuse et hautaine jeune fille à ce maudit gamin, en s’adjugeant sans répugnance le terrible pantalon bicolore.

C’était la première fois que Laurent accompagnait ses cousines en voiture ! Assis à côté du cocher, que la surprise