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LA NOUVELLE CARTHAGE

pour la première fois qu’il avait les attaches fines ; la main et le pied petits. Elle se réjouissait de la métamorphose graduelle du gamin.

— Vois donc, maman, il n’a plus l’air aussi rustre. Il est presque bien, n’est-ce pas ?

Ce presque gâtait un peu le bonheur de Laurent ; mais il pouvait espérer que lorsqu’il serait habillé de neuf des pieds à la tête, Gina le trouverait tout à fait présentable.

Illusion, leurre, mirages, cette journée n’en fut pas moins une des meilleures que Laurent eût rencontrées. Comme Gina donnait le ton, tout le monde à la fabrique, même le cousin Guillaume, même l’inconciliable Félicité faisait meilleur visage au collégien et ne le morigénait pas aussi souvent.

— Mademoiselle a l’air de jouer encore à la poupée ! se contenta de dire en a parte la hargneuse créature, lorsque Gina fit tourner et retourner Laurent pour le montrer au cousin Guillaume.

Il faut croire que le jeu amusa la jeune fille, car le tailleur ayant livré les vêtements neufs de Laurent la veille d’une excursion par eau, à Hemixem, où les Dobouziez avaient leur « campagne » elle demanda que le gamin fût de la partie. Comme il devait partir le lendemain pour l’étranger, les parents se prêtèrent à cette nouvelle fantaisie de Gina, à condition qu’il s’en rendît digne par des prodiges d’application et de sagesse.

Décidément Laurent sentait ses dernières préventions se dissiper. Âge privilégié du pardon des injures, où la moindre attention compense dans la mémoire de l’enfant des années de désaffection et d’indifférence !