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VII

Hemixem.


Heureux Laurent ! Il eût fallu le voir sur l’embarcadère des paquebots, exultant dans ses vêtements neufs, portant haut la tête, se mêlant aux invités avec un sentiment de confiance et d’égalité inéprouvé jusqu’alors. Il y avait au moins trente personnes de la partie. Dames et demoiselles en fraîches et claires toilettes de villégiature ; cavaliers en négligé élégant : chapeau de paille et pantalon de piqué. Non seulement Laurent était aussi bien mis que ceux-ci, mais il était même mieux mis, trop correctement peut-être, et les deux jeunes Saint-Fardier, deux freluquets de dix-huit et vingt ans, habillés tout de flanelle blanche, à qui Gina le présenta comme un petit sauvage réputé incorrigible mais en passe de s’apprivoiser, le toisèrent en échangeant avec la jeune fille un sourire d’intelligence qui eût peut-être défrisé, le candide Paridael en tout autre moment. Ce sourire disait clairement l’anomalie de sa toilette de ville.

Athanase et Gaston, inséparables, toujours habillés de même, deux doigts de la même main ou plutôt deux asperges de la même botte. Fluets, pâlots, l’air malsain, ils prétextaient la sensibilité de leurs amygdales pour exagérer la largeur de leurs carcans et s’emmitoufler périodiquement le cou.

La veuve Saint-Fardier, leur grand’mère, maîtresse d’un gentilhomme podagre et quasi gâteux, le capta si bien qu’il contraignit son enfant unique, une douce et filiale créature, à se mésallier avec le fils de sa concubine. On attribuait à l’inconduite du Pacha l’affliction morale et aussi le mystérieux et incurable mal qui avaient prématurément emporté la jeune