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La Guigne


Oui, très drôle en effet. Blond, fadasse et cagneux,
Vingt-deux ans et blasé sans avoir vécu ; chauve,
Le sang vicié, brûlé, le cerveau nul, les yeux
Préférant, comme ceux d’une chouette fauve,
L’ombre, le demi-jour. Il recherchait l’alcôve
Banale et les baisers flasques des mauvais lieux.

Si le maçon avait pu lire dans cette âme,
Peut-être depuis lors aurait-il oublié
Les six mois qui l’avaient à la Guigne lié,
N’aurait-il plus été jaloux de cet infâme,
Se serait-il senti honteux, humilié,
D’avoir été jamais l’amant de cette femme !

Mais il ne voyait, lui, ce soir, que le gandin,
Le monsieur comme il faut, qui laid est supportable,
À qui le linge blanc donne un air respectable,
Qui porte un chapeau noir, met des gants, boit à table
Le vin dans du cristal ; qui, voleur ou gredin,
Pour l’ouvrier professe un suprême dédain.

Et comme le cratère où la lave s’éveille,
Comme un vin fermenté qui travaille et qui bout
Jusqu’à faire voler en éclats la bouteille,