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Une Vierge folle

Cette ivresse dans l’air qui dans le sang pénètre,
Ces effluves faisant de vous un nouvel être,
Cet espoir inconnu ressemblant au chagrin
(Car il vous fait pleurer), et ce pouvoir sans frein,
Nerveux, âcre, emporté, dont vous êtes la proie,
Qui n’est pas la douleur et qui n’est pas la joie,
Ces spasmes irritants…
Vous les avez connus si Dites, au mois de mai
Vous les avez connus si vous avez aimé.

Jeanne apparaît pourtant sous l’ogive du temple,
Évitant le regard d’André qui la contemple,
D’André, son compagnon d’enfance, un beau garçon,
Semeur intelligent qui fait bien la moisson.
Il faut le voir marchant près de son attelage
De bœufs roux au front blanc, les plus forts du village,
Comme il est, lui, parmi les jeunes villageois,
Le mieux musclé, celui qui soulève les poids
Les plus lourds et met fin aux rixes des dimanches
Rien qu’à faire semblant de retrousser ses manches.
Il a vingt ans. Sa peau rose a ce blond duvet
Dont sur les espaliers au mois d’août se revêt
La pêche mûrissante à la chair savoureuse.
La nature pour lui se montre généreuse ;