Page:Elder - Le Peuple de la mer.djvu/122

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de son compagnon, engager une conversation où la belle fille aurait été présente à chacune de leurs paroles, parce que son sang de jeune homme, longtemps sevré d’amour, se pressait tumultueusement dans ses artères. Mais Sémelin lui dit simplement quand il s’arrêta, à bout de souffle :

— On avait bien besoin de c’te femelle !

Et comme il insistait pour que les Gaud vinssent casser la croûte avec eux, Sémelin s’interposa carrément :

— Ah ! non, jeune homme, chacun chez soi !

Sémelin est la loi de l’île. Il porte à la fois la tradition et le devoir dans sa conscience, derrière ce visage strictement rasé, d’où se détache un carré net de barbe blanche. Sémelin a la physionomie classique du loup de mer, qui évoque la vieille marine en bois et les frégates aventureuses, joufflues comme des amours. Dans sa vareuse et sous le béret à rubans, il méprise les jeunes matelots qui font la raie, frisent leur moustache, chaussent la bottine et relèvent la casquette à la russe, à la manière du premier souteneur des ports où les a traînés le service.

Il y a bientôt un siècle, son grand-père était garde du fort au Pilier, et il avait construit, au nord de l’îlot, une chapelle emportée depuis par la mer. Son père lui succéda et fut gardien du premier phare quand on déclassa la forteresse. Et lui, le