Page:Elder - Le Peuple de la mer.djvu/204

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vie et la mer qu’il apostrophait comme une maîtresse.

Clémotte, Hourtin et Bernard faisaient bien, une fois le temps, la partie à l’auberge, mais ils préféraient aussi la mer, car c’est un besoin de la contempler et de la sentir pour ceux qui ont vécu près d’elle. Il y a trop de luttes dans la vie des marins pour qu’ils puissent se séparer jamais de la grande Ennemie, qu’ils aiment à cause de ses ruses et de ses furies même, autant que pour sa coquetterie câline, et ses romances nostalgiques. Ils vieillissent par là sur ses bords, traînent à la plage ou sur le port leurs rhumatismes noueux, parlent d’elle et la couvent des yeux, en buvant à son souffle pour achever de vivre.

Quand les barques revenaient, le soir, du côté où le soleil se couche, groupés sur la jetée, les vieux les nommaient de loin à mesure qu’elles se détachaient sur le fond écarlate.

— C’est le Brin d’amour qu’est devant !

— Et c’est ben la voilure de Perchais qu’est en troisième !

Les côtres s’enlevaient en noir, en raison du soleil abaissé derrière eux, et ne se distinguaient que par la silhouette, jusqu’au virage des balises, où ils se révélaient brusquement dans tout l’éclat de leur couleur. Les hommes bordaient les grand’voiles, et les barques lofaient et s’étalaient dans le