Page:Elder - Le Peuple de la mer.djvu/259

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Parfois un événement traversait, comme un éclair, cette uniformité grise : un naufrage, un suicide, un meurtre. Puis le triste cours reprenait et les hommes, distraits un moment, recommençaient à traîner le boulet de leur misère.

Bernard avait ajusté un petit cadre en bois, pour placer le portrait d’Eugène sur la cheminée, en compagnie des aînés morts. Chaque matin la mère l’essuyait, en faisant le ménage et, quelque-fois, il lui arrivait de murmurer :

— Si on le revoyait, tout de même, il s’rait ben changé…

Bernard haussait les épaules, mais ne la contredisait pas. Une braise d’espoir, qu’ils auraient honte de révéler, couvait au fond d’eux-mêmes. Les gens de la mer savent bien qu’après de longues années, des naufragés sortent parfois de la mort, avec un visage inconnu.

P’tit Pierre, lui, n’avait pas d’espoir, étant trop jeune pour fixer sa pensée sur un autre objet que lui-même, comme font les gens d’âge, qui se contentent à voir vivre ceux qu’ils aiment. Mais touché par le chagrin tenace des vieux, il s’était soumis de bon cœur en se détournant des barques pour apprendre la menuiserie. Le village n’en revenait pas encore. Chacun savait ses exploits à bord du Laissez-les dire et les victoires sur Olichon. On disait déjà de lui :