Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/177

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d’hésitation dans la manière de la traiter. Pas une imagination ne s’était avancée jusqu’à admettre que M. Lydgate pût être aussi savant que le docteur Sprague ou le docteur Minchin, les deux seuls médecins capables de donner quelque espoir dans les cas extrêmes, alors que le plus faible espoir ne valait pas plus d’une guinée. Pourtant, je le répète, l’impression générale était qu’il avait en Lydgate quelque chose de plus que chez les autres praticiens ordinaires de Middlemarch.

C’était la vérité. Il n’avait que vingt-sept ans, cet âge auquel on voit des hommes sortir du rang pleins d’espoir dans le succès, fermes dans leur résolution, sûrs que Mammon ne leur mettra jamais un mors à la bouche et ne leur montera jamais à califourchon sur le dos pour les stimuler, mais plutôt que Mammon, s’ils ont affaire à lui, les aidera à pousser leur char. Il était resté orphelin au moment où il sortait du collège. Son père n’avait amassé au service militaire que bien peu de chose pour ses trois enfants, et, quand le jeune Tertius voulut faire ses études de médecine, ses tuteurs jugèrent plus simple d’accéder à ses vœux en le mettant en apprentissage chez un médecin de province que de s’y opposer en invoquant la dignité de la famille. C’était un de ces rares jeunes gens qui choisissent de bonne heure une voie définie, convaincus qu’il y a pour eux dans la vie une chose spéciale à faire, parce qu’ils se sentent appelés à la faire et non parce que leurs pères l’ont faite avant eux. Ceux d’entre nous qui ont embrassé une carrière par vocation doivent se souvenir de certain matin ou de certain soir où ils ont grimpé sur un escabeau pour atteindre un livre inconnu, ou sont restés assis, les lèvres entr’ouvertes, à écouter la conversation d’un étranger, ou enfin ont commencé, à défaut de livres, à écouter parler les voix intérieures de leur âme, y trouvant le premier germe appréciable de leur vocation. Quelque chose de