Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/272

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— J’appelle cela le fanatisme de la sympathie, répliqua Will impétueusement. Vous pourriez en dire autant du paysage, de la poésie, de tout autre raffinement de jouissance. En agissant conformément à ces principes, votre devoir serait de vous rendre malheureuse, avec toute votre bonté, et de devenir mauvaise, afin de n’avoir plus d’avantages sur les autres. La meilleure piété est de jouir, quand on le peut. C’est le moyen de donner au monde l’apparence d’une planète agréable. La joie rayonne d’elle-même. Ce n’est pas la peine d’essayer de prendre soin de l’univers ; c’est en prendre soin que d’y puiser des jouissances d’art ou autres. — Voudriez-vous faire de la jeunesse d’ici-bas un chœur tragique pleurant et moralisant sur les souffrances de la terre ? Je vous soupçonne d’avoir mal compris quelquefois la vertu de la souffrance et de vouloir faire de la vie un martyre.

Will avait été plus loin qu’il ne voulait et il s’arrêta. Mais la pensée de Dorothée ne suivait pas exactement la même direction que la sienne, et elle répondit sans laisser voir d’émotion particulière :

— Vous vous trompez certainement sur mon compte. Je ne suis pas une créature triste et mélancolique. Je ne suis jamais longtemps de suite malheureuse. Je suis violente et méchante, bien différente de Célia. J’ai parfois de terribles accès de révolte, après quoi tout me semble redevenir noble et beau. Je ne puis m’empêcher de croire en aveugle à tout ce qu’il y a de beau en ce monde. Je serais toute disposée à jouir de l’art ici ; à Rome, mais il y a tant de choses dont je ne connais pas la raison, tant de choses qui me semblent plutôt une consécration de la laideur que de la beauté. La peinture et la sculpture peuvent être merveilleuses dans les formes qu’elles représentent, mais le sentiment en est souvent bas et grossier, quelquefois même ridicule. J’y rencontre bien parfois telle chose qui me captive soudain par un caractère de noblesse, telle chose que je